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dimanche 6 mai 2018

Entre Histoire et Légende sur les bords du lac de Guerlédan (22)

La tragique histoire de la demoiselle de l'abbaye, passée dans la mémoire collective sur les rives du Blavet (Saint Gelven, Caurel en Côtes d'Armor, Saint Aignan en Morbihan).
Ruines de l'abbaye de Bon Repos, années 1988-90.Photo wikimedia
1636: année des temps agités pour l'abbaye de Bon Repos (sur la trève de St Gelven dépendant de la paroisse de Laniscat, évèché de Cornouaille), impliquée dans le drame qui se déroule à plusieurs kilomètres, le long du Blavet, au lieu-dit Trégnanton (alors treguénanton ou troguénanton).
Les "temps sombres"vont ponctuer l'histoire de l'abbaye, comme des "revers" opposés aux "avers" lumineux des origines et des actions positives de l'Ordre Cistercien. Loin de moi l'idée de faire l'apologie des "temps sombres", mais pour comprendre la persistance d'une telle histoire dans la mémoire des gens du pays, il me paraît nécessaire d'en parler un peu.
Ainsi, dès 1387, l'Ordre de Citeaux dont elle dépend, ordonne des sanctions contre l'abbaye. En 1415, elle entre en conflit avec les fondateurs, la famille de Rohan; les causes sont multiples: luxe des abbés, présence de femmes dans le monastère, fréquentation des auberges par les moines... En 1470, l'affaire de Penguily, un prieur de 1465 accusé de "maléfices, délits et mauvaise administration" (N. Andrejewsky, M.Simon) va déboucher sur la mise sous tutelle de l'abbaye sous l'autorité de celle de Boquen. Au début du XVIe siècle, le Concordat accroît les difficultés; les abbés sont désormais désignés par le roi dans la noblesse et non plus par l'Ordre Cistercien. Depuis les guerres de la Ligue et Henri de Rohan qui est protestant, l'abbatiale de Bon Repos n'est plus nécropole des Rohan. En 1583, Troïlus de Mesgouez, Marquis de la Roche, vice-roi de Terre Neuve, et aventurier sans scrupules pille l'abbaye jusqu'en 1606. L'abbaye, dépourvue des 2/3 de ses revenus se remet à peine de ces temps difficiles lorsque se déroule l'histoire de la "demoiselle de l'abbaye".
Le roi de France, Louis XIII (1601-1643) est lancé depuis 1635 dans la guerre de 30 ans. De nombreuses jacqueries sanglantes affectent les campagnes dans tout le royaume. L'abbé commandataire de l'abbaye est Claude II de Guillier qui meurt en 1646, remplacé par Michel Mazarin, le frêre du célèbre cardinal. Il ne réside pas sur place et ponctionne les revenus par l'entremise d'un régisseur. La situation est tendue car les Dîmes ne tombent pas, les vassaux des Rohan préfèrent s'en affranchir en devenant protestants! En 1636, le prieur est Jean Guegan (article sur ce blog, sur patrimoine de St Gelven, le calvaire de Trégnanton). Un jour de cette sombre année, une jeune fille, sans doute retenue contre son gré dans l'abbaye, décide de s'enfuir. Qui est-elle, et pourquoi est-elle retenue dans l'abbaye?? Toutes les hypothèses sont permises car l'histoire ne répond pas à ces questions...
Ruisseau de Kerouillé à Trégnanton en 2015(assec du lac)
Les anciens du pays racontent encore cette histoire qui peut se résumer ainsi: une jeune fille s'enfuit de l'abbaye... Elle suit le Blavet en rive gauche, descendant la vallée vers Mûr de Bretagne. Elle a parcouru plus de 4 kms quand elle entend des aboiements  de chiens lancés à sa poursuite. Elle franchit le petit ruisseau des sources de Kerouillé et Ty-lan-Vojo en arrivant sur Trégnanton, face à la butte de Malvran sur l'autre rive. Les chiens la rattrapent à cet endroit et se jettent sur elle. Que devient alors le corps mutilé de la malheureuse? Les anciens du pays se posent encore bien des questions à propos de cette histoire: qui était cette jeune femme et quel rôle  jouait-elle pour provoquer un lâcher de chiens volontaire, devait-elle garder le silence??
Trégnanton et son calvaire en 1636 (pastel PJ)
Un monument aurait été érigé par le prieur Guégan à l'endroit où s'est déroulé le drame (ce que semblerait conforter les écrits  de l'abbé Guitterel et la pierre gravée du prieur Guégan; article du 2/03/2018). Mais pourquoi un calvaire à l'emplacement de sa mort? Une recherche de rédemption?Une raison liée à l'importance de cette jeune fille qui aurait pu appartenir à une famille noble du pays?
Depuis ce temps, l'endroit est hanté par les âmes errantes de la demoiselle dont on cherche toujours le nom et une trace de sépulture, mais aussi de Lannezval tué pratiquement au même endroit deux siècles plus tard (affaire jugée en 1889, voir article du 10/04/2015 sur ce blog), et encore l'âme du Seigneur du Cours, tué le 21 février 1796 à Baraval... Dans les mois sombres de l'hiver, cette partie sauvage, silencieuse et préservée du lac de Guerlédan conserve son atmosphère étrange.Gardien de secrets perdus dans le dédale de l'histoire, Trégnanton n'est pas entré dans un schéma contemporain de l'exploitation touristique des rives du lac (malgré les tentatives de Léon Launay, maire et conseiller général de St Gelven dans les années 1980), et son calvaire conserve malgré lui la mémoire d'un temps bien plus ancien que lui.
NB: Florentin-Claude, Seigneur du Cours, né à Corlay en 1753, émigré à l'armée de Condé, chef de Division de l'armée catholique et royale de Bretagne, arrêté au village de Baraval en St Aignan et fusillé par une Colonne Mobile le 2 ventôse de l'an IV (21 février 1796) (infobretagne:Corlay). Baraval est le nom de l'écluse 125 située en aval de celle de Trégnanton mais qui n'existait pas au moment des faits.Cliquer sur les images pour les agrandir.

1 commentaire:

  1. Aujourd'hui, 5 octobre 2019, un "magnétiseur" de Mûr-de-Bretagne me raconte une histoire rapportée par une personne âgée de Mûr qui affirme qu'une charette et son cheval ont été engloutis corps et bien dans la vallée du Blavet à Trégnanton avant le barrage de Guerlédan, histoire qui conforterait chez les anciens, le côté "maudit" du lieu!

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